Chapitres,  Textes

Chapitre 09

— Que m’as-tu fait ?

— Que NOUS ai-je fait ?

— Que veux-tu dire ?

— Pour te transformer, il a fallu que je me transforme au préalable.

— Qui t’as fait ça ?

— Je l’ignore. Dans l’urgence, je n’ai pas toujours fait preuve d’une grande discrétion. C’est lui qui est venu vers moi.

— Lui ?

— Le spectre d’un autre monde. Un démon peut-être. Il est resté très vague à son sujet, et m’a simplement fait une proposition que je ne pouvais refuser.

— Comment ça s’est passé ?

— Notre échange fut bref, sans animosité ni hostilité. Il a souhaité connaître la raison qui m’animait et ne m’a rien demandé en retour.

— Et ?

— Une fois métamorphosé, il n’est resté que quelques nuits à mes côtés pour m’expliquer comment tout ceci fonctionnait. Malgré tout, il persiste des zones d’ombre que nous explorerons tous deux.

— Quel vacarme. Ma tête va exploser.

— Tes sens se sont aiguisés. Je t’apprendrai à les maîtriser.

— Pourquoi t’infliger ça ?

— Tu ne devines donc pas ? Plutôt périr ensemble que finir seul.

— Je ne t’ai jamais demandé de mourir avec moi. Tu devais veiller sur elle. Je comptais sur toi ! Merde !!

— Calme toi. Je sais que tout cela est nouveau et que tu es déboussolé. Mais c’est toi qui veilleras sur elle.

— Je ne culpabiliserai pas.

— Je ne te le demande pas.

— Que sommes-nous ?

— Peu importe. Ce qui est fait, est fait.

— Dis le moi.

— A quoi bon ?

— Dis le moi !

— Si tu insistes… Il a employé le terme de vampyre. De par tes lectures sur les temps anciens et les croyances, j’imagine que cela doit t’évoquer quelque chose.

— Alors nous sommes bel et bien maudits…

— Je ne te savais pas si religieux.

— Je ne le suis que par convenance, tout comme toi. Seulement si démon il existe, il y aura un prix à payer.

— Nous aviserons le moment venu.

— Comment ça marche ?

— Tu ne peux te nourrir que du sang des vivants, et dont le corps est sain. Tu l’as remarqué ; un sang malade nous affaibli fortement. Il y a tout un panel d’avantages liés. Le reste n’est que folklore et imaginaire développés à travers des récits fantaisistes.

— Quels avantages ?

— Pour toi, rester jeune et séduisant pour les siècles à venir, et pouvoir enfin mener une existence libérée des troubles de l’âme humaine. Désormais, il n’y a plus de limite à ce que tu peux souhaiter. Pour ma part, je m’accommoderai au mieux. Ton vœu le plus cher n’était il pas de mourir ?

— Inutile de jouer sur les mots.

— C’était malvenu. Je te l’accorde. Mais imagine, demain ou après-demain, le soulagement que tu liras sur son visage quand elle te découvrira guéri, toi qui devinais déjà, en elle, doutes et inquiétudes. Tu as dorénavant l’éternité pour la chérir et devenir l’homme que tu désirais pour elle.

— Sommes-nous condamnés à la nuit ?

— Pour un noctambule ivre de soirées arrosées et masquées, la question est plutôt surprenante. Tu seras plus sensible à la lumière du soleil, qui pourrait t’affaiblir. Toutefois, tu restes libre de circuler jour et nuit, comme bon te semblera. Question d’habitude paraît-il. Je n’ai pas encore suffisamment de recul pour te l’affirmer.

— Marianne n’est pas sotte. Elle découvrira tôt ou tard la supercherie.

— Qui te dis qu’elle ne fera pas le même choix que nous ?

— Nous ?! Tu veux dire ton choix et celui que tu m’as imposé !

— Là encore, nous aviserons le moment venu.

— C’est comme ça que tu comptes régler tout problème ? En transformant chaque personne susceptible de nous démasquer ?

— Je ne pense pas qu’il faille aller jusque-là.

— Comment ferons-nous avec les domestiques ?

— Je demanderai au majordome de s’accorder avec l’intendante pour congédier une partie des cuisines, avec une prime généreuse de remerciement pour ces années de service. Nous prétexterons préférer, dès à présent, dîner et souper à l’extérieur pour étendre nos relations professionnelles. Et nous ne conserverons que le personnel minimum pour les invités. De manière générale, Frank et Mathilde n’étant plus, il est temps de réduire les effectifs. Nous n’avons plus besoin d’une quarantaine de domestiques pour gérer le domaine.

— Puisque nous parlons restrictions, feras-tu des coupes budgétaires avec nos navires ?

— Rien de tel de ce côté-là. Il ne s’agit pas d’argent mais de limiter nos interactions et d’éviter tout soupçon. Réduire ou céder notre activité commerciale éveillerait trop de curiosité. En reprenant la direction de l’entreprise, avec l’appui et la collaboration de Gabriel de Jansey, le père de Marianne, nous pourrons poursuivre les activités que père avait à cœur de mener, et honorer sa mémoire. Rassure-toi, il m’y avait très bien préparé.

— Tu n’as aucune idée de ce dans quoi tu nous as embarqué. Comment feras-tu pour de Jansey ? Dois-je te rappeler qu’il nous a vu grandir ? Tu ne pourras pas le berner très longtemps. Et moi non plus.

— Il ne tient qu’à nous de maintenir une certaine distance. Nous ne sommes plus des enfants et c’est Marianne que tu épouseras. Non ses parents.

— Épouser ? Comme marier à l’église ?

— Je te l’ai dit, tout cela n’est que folklore.

— Haha ! J’espère que tu plaisantes ? Tu délires si tu t’imagines faire illusion à cette échelle ! Nous serons déjà chanceux si Marianne seule ou nos domestiques ne nous dénoncent pas. Tes belles paroles n’étaient que de l’esbroufe pour me convaincre de te rejoindre dans cette folie. Mettre en péril famille et amis au lieu de renoncer à une seule vie, quelle hérésie ! Comment peux-tu être aussi naïf ? Tu es donc prêt à tuer pour vivre ?

— Arrête.

— Il te sied bien mal ce nouveau rôle de patriarche et protecteur que tu as endossé depuis la mort de père. Tu ne vaux pas mieux que moi. Pas étonnant que ton nouvel ami ne t’a rien demandé en retour. Il n’aura qu’à savourer notre perte, à distance, et s’en réjouir.

— Assez !! J’en ai suffisamment entendu pour ce soir !

— S’il t’importe peu de tout anéantir autour de toi, je te laisse apprécier cette belle victoire. Voilà un autre trait que nous aurons visiblement en commun.

Ténébos quitta le cabinet, mettant fin à la confrontation qui plaçait Arguès face à ses responsabilités, et tout ce que cela impliquerait. Il était évident que les choses ne seraient pas si simples. L’attachement démesuré envers son frère et la terreur d’une solitude extrême l’avait poussé à ne songer qu’au moment présent, sans se préoccuper des répercussions à plus long terme. Ce dernier, réalisant l’étendue de son hypothétique erreur, envoya valdinguer tout ce qui se trouvait sur son bureau. C’était la première fois qu’il perdait le contrôle de la situation.

Crédit photo : inconnu

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