Chapitres,  Textes

Chapitre 02

«Je me suis éveillée, la tête lourde, envahie d’une impression de cauchemar affreux m’encerclant de toute part. Je réalise maintenant que cela est réel et que je suis l’otage de quelque chose qui ne semble pas humain. La morsure de ma cheville a disparu. Je ne m’explique pas comment. Je n’ai aucun souvenir. J’ai du m’évanouir. La lumière traverse péniblement quelques fissures parmi les pierres érodées et je discerne à peine une pièce étroite, presque vide, à l’état de ruine. Suis-je vivante? Suis-je morte? Il me semble avoir été aspirée par les ténèbres.»

La porte s’ouvrit en un grincement lugubre, que l’écho renvoya semblable à une plainte, laissant apparaître, dans l’entrebâillement, la silhouette d’un jeune homme à la beauté remarquable, dont les yeux quelques peu fatigués trahissaient cependant un âge certain. Sa chevelure, longue et d’un brun soutenu, encerclait un visage d’apparence juvénile mais ses épaules et ses mains étaient bâties comme celles d’un homme, et non d’un enfant. Sa tenue, élégante et soignée, quoique les étoffes nobles aient perdu de leur éclat, n’était pas sans rappeler l’aristocratie du XIXème siècle.

L’inconnu, captivé, dévisageait avec une certaine insistance la détenue, tel un objet de convoitise ardemment désiré. S’avançant vers elle pour mieux la découvrir encore, il se tint l’instant suivant à portée de souffle de son visage. Un battement de cils, tout au plus, avait suffi à le transporter d’un bout à l’autre de la pièce. Une fois de plus, elle secoua la tête et recula instinctivement, accusant son esprit toujours embrumé. Mais quelques sentiments étranges la convainquirent qu’il ne lui ferait aucun mal. Ses yeux sombres teintés de reflets rouges, aspiraient son attention. Elle reconnut le parfum de la main salvatrice qui lui avait portée secours, la veille, au milieu de ce chaos dans lequel elle s’était retrouvée brusquement plongée.

Ni confiante ni rassurée mais souhaitant comprendre dans quelle situation elle se trouvait, elle se rapprocha prudemment des barreaux, à travers lesquels il effleura, du bout des doigts, sa joue. Sa peau, ferme et glacée, lui évoqua le contact du métal. Il plongea plus intensément ses yeux dans les siens tandis qu’une sensation de flottement et de légèreté gagnait son corps tout entier et que ses paupières s’alourdissaient. L’étourdissement pris fin la seconde suivante, quand une très jeune femme, surgissant de nulle part, lui agrippa affectueusement le bras. On eut dit un serpent ondulant dans les airs et dont les yeux vert cerclés de doré libéraient une telle férocité qu’elle ne put retenir un frisson d’horreur. La créature reptilienne lui murmura quelques mots au creux de l’oreille avant de promener une langue humide sur des lèvres charnues et d’un rouge vif. L’homme parut contrarié par les propos qu’il recevait et, serrant fermement sa main dans la sienne, ils disparurent tous deux à travers l’obscurité.

Recouvrant ses esprits, elle analysa la situation. Cependant, ses nerfs, mis à rude épreuve, lui faisaient machinalement faux bond par intervalle de quelques minutes. Ce n’était pas la motivation à fuir, par quelque moyen que se soit, qui lui manquait, seulement rien ne lui parût envisageable. Il n’y avait ici guère objet qui puisse l’aider à s’échapper ou même à se défendre. La seule option possible restait l’attente. Et elle fut aussi longue que difficilement supportable jusqu’à ce que, quelques heures plus tard, la femme serpent ne revienne munie d’un plateau repas qu’elle déposa aux pieds de sa cellule. La captive voulut attendre d’être seule, tant sa présence l’effrayait plus encore que la solitude. Tiraillée par la faim et la soif, elle se résolut à saisir l’assiette avant de la reposer aussi sec. Des os partiellement couverts de chair et de peau, qui n’avaient rien d’animal, baignaient dans une flaque de sang.

— Régale-toi avant que ton tour ne vienne !

Lâchant ces mots avec un plaisir non dissimulé, elle s’évapora de nouveau, laissant la prisonnière tétanisée qui repoussa, de ses pieds, le plateau le plus loin possible de sa prison.

Crédit photo : Peter Rajkai

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